PÉRIGNAC : LES AMIS DE PAICHEL

Paichel invita ses amis, Jules Verne, Mlle Nostra et le père Noël, à une fête d’adieu. Le clochard tenait à boire et à manger avant de mourir la nuit suivante. C’était un lundi et notre homme laissa croire à l’infirmière chef que c’était son anniversaire de naissance. Puisque la tradition voulait qu’on offre au moins une galette au pensionnaire qui prétendait avoir sept cent vingt et un ans, un infirmier accepta de laisser Paichel et ses amis, déguster cette galette à la farine d’avoine, dans un coin tranquille du parc. Garde Rita apporta même une bouteille de lait pour donner un peu plus de dignité à cette fête. Les pensionnaires avaient vraiment l’air de quatre petits fous avec leurs chapeaux improvisés. En effet, pour donner plus de gaieté à leur fête d’adieu, nos amis s’étaient fabriqué des bonnets pointus. L’infirmière n’avait pas envie de se moquer des petits fous heureux. Elle s’éloigna en réalisant qu’ils voulaient être seuls. Pourtant, une étrange impression lui disait que ces malades se préparaient à quitter le monde des vivants. On aurait dit que ceux-ci lui disaient des yeux : “Ne soyez pas si triste, garde Rita. Nous vous aimons beaucoup, mais nous devons partir.”

Le clochard sépara sa galette en quatre et en offrit un morceau à chacun de ses amis en disant sereinement:

- C’est le dernier repas que nous prendrons sur cette terre. Est-ce que tu es prêt à mourir cette nuit, Jules ?

- Oui, répondit son ami en saisissant le morceau de galette sèche.

- Et toi, bon père Noël ?

- Je serai prêt pour le grand départ.

- Et vous, ma chère demoiselle Nostradamus ?

- Oh, vous savez bien que je n’ai jamais été Nostradamus, mais je ne suis pas assez folle pour leur dire avant de mourir. Comme je sais que nous quitterons ce monde à trois heures de la nuit, je me demande si le vrai Nostradamus était aussi précis dans ses prédictions!

Ses amis riaient comme des jeunes enfants, excités par ce grand voyage du non-retour. Jules Verne demanda à Paichel si son médaillon était vraiment efficace.

- À cent pour cent, mon cher Jules. Avec une telle lumière, notre route semblera moins pénible. Nous avons toujours un peu peur en sortant de notre corps, vous savez! C’est pour cette raison que certains mourants résistent à la mort. Pourtant, cette lumière nous éclairera dans les ténèbres lorsque nous atteindrons le royaume de la nuit.

- Tu ne devrais pas avoir peur de mourir, lui dit Jules en souriant, puisque tu as voyagé dans l’intemporel.

- Oh, mais ce n’est pas du tout la même chose, voyons ! Lorsque je disparaissais d’une époque, c’était avec mon corps. Ce soir, je devrai l’abandonner définitivement comme tous ceux qui meurent, n’est-ce pas ? Alors, je ne peux vraiment pas me vanter d’être mieux équipé que vous l’êtes pour affronter la mort en face.

- Tout de même, tu es un grand voyageur ! Tu as rencontré une foule d’esprits et passé par toutes sortes de mondes fantastiques ?

- Oui, je l’avoue, ma bonne demoiselle.

- Tu as vécu dans combien d’époques ? Demanda Jules.

- Oh, pas tellement d’époques. Je dois admettre que j’ai tout de même vécu 84 ans dans chacune.

- Tu possèdes donc plusieurs souvenirs de celles-ci, n’est-ce pas?

- Bien sûr Jules! Je me souviens d’un détail assez cocasse dans l’une de mes aventures. Je suis passé sur un champ de bataille en disant ironiquement à un soldat: “ Tu parles d’une belle journée pour tirer du canon!” Le pauvre homme secoua la tête en m’examinant promener mon chien entre les combattants.

Ses amis rirent tous de bon coeur. Cette anecdote et bien d’autres furent racontées par Paichel.

Vers la fin de l’après-midi, la fête fut terminée par un toast au lait. Puis, sans parler, nos quatre amis se retirèrent dans leurs chambres privées et méditèrent toute la soirée. Étrangement, les membres du personnel ne venaient pas les déranger. On aurait dit qu’une main invisible guidait les intrus vers d’autres pensionnaires, dès qu’ils songeaient à rendre visite à nos quatre vieillards mourants. Puis, la nuit arriva enfin. À part quelques patients qui criaient ici et là dans les dortoirs communs, l’heure du départ arriva sans aucun incident. Une douce lumière apparut simultanément dans la chambre de Paichel, puis dans celle de Jules Verne, dans la petite chambre de Mlle Nostra et dans celle du père Noël. Nos amis quittèrent leur enveloppe charnelle et planèrent un moment dans la pièce. Ils s’étaient donnés rendez-vous devant l’institution. Ils s’y retrouvèrent peu de temps avant l’aube. C’est que, voyez-vous, il n’est pas toujours facile de se diriger dans un monde en trois dimensions, lorsqu’on passe à travers les murs sans les voir. Jules Verne se retrouva dans la cave de l’institution et erra un certain moment avant de réaliser qu’il n’était pas au bon endroit. Le père Noël trouva sa route facilement mais se perdit lorsqu’il crut entendre la voix de son ami Paichel au fond de la cour. Finalement, les quatre esprits s’envolèrent lentement au-dessus d’un petit village dont nous ignorons le nom. Ils passèrent près d’un couvent et entendirent les cloches matinales qui invitaient les religieuses à la messe. C’est sur ce bruit symbolique que se fit la séparation définitive avec notre monde, dès que des longs cordons argentés se brisèrent entre les quatre âmes et leurs corps. Ensuite, c’est comme si un vent poussa leurs voiles invisibles sur un océan infini.

Paichel et ses amis entendaient parfaitement les sons cosmiques, provoqués par la rotation continue des planètes et des étoiles. On pourrait dire que les esprits ont le sens de l’ouïe extraordinaire et leur vision est multidimensionnelle. Ils voient non seulement de très loin, mais à travers les brumes les plus épaisses. Ils sont comme des particules d’énergie qui circulent entre les noyaux d’atomes. Ils se mêlent facilement aux poussières cosmiques et peuvent, dans certaines conditions, se servir de ces grains lumineux pour apparaître à des humains. Nos amis apprirent que les esprits n’apparaissent pas puisqu’ils sont là dans l’invisible. Ce n’est que le composé d’énergie vibratoire qui permet parfois de voir ces esprits. C’est comme si on traçait un mot avec de la cire. Il semble invisible et pourtant il est là. Avec un peu de cendre, on parvient à le faire apparaître. Il en va de même des esprits. Il n’y a pas de frontière réelle entre le visible et l’invisible, mais une ÉNERGIE CONTRAIRE. On pourrait comparer cela à quelqu’un qui allume une lumière pendant qu’un autre cherche à la fermer. Lorsque le courant passe, la lumière s’allume, mais lorsqu’elle s’éteint, le courant demeure là. La seule chose qui l’empêche de se manifester est le COMMUTATEUR. Ainsi, l’énergie spirituelle et la vie du corps physique ne sont pas vraiment opposés mais retenue dans un courant inverse. Le flux et le reflux viennent de la même source. On ne voit pas le feu dans un fil conducteur d’électricité et pourtant on sait qu’il y est enfermé. Une simple prise électrique surchargée le prouve lorsque le feu apparaît dans le mur. Donc, il s’agit de courants et non de frontières que l’esprit doit franchir en mourant. L’âme, véritable partie spirituelle de l’être, franchit souvent ces deux modes d’existences parce qu’elle est antérieure à la création de la matière lourde, c’est-à-dire, avant l’apparition de la matière visible. On dit que l’âme est faite d’une matière subtile. Cela ne veut rien dire du tout. Dire cependant que toute chose possède sa vibration ou encore sa CHARGE D’ÉNERGIE, devient plus facile à comprendre. On réalise surtout pourquoi une âme ne peut quitter l’état humain même après sa sortie du corps. Il s’agit d’une faiblesse de son énergie vibratoire. Des âmes vivent encore comme la matière lourde à cause de leur empreinte trop marquée dans la vibration entourant la terre. Nous ne dirons pas que ces esprits hantent notre monde ; disons plutôt qu’ils sont plus familiers aux choses de la terre que du ciel. Il faut donc être prudent en s’adressant à des âmes qui parlent du ciel comme le ferait un homme armé de son compte de banque. Il est riche mais pas nécessairement intelligent dans ses conseils. Il connaît l’argent mais pas les autres valeurs humaines. Il en va de même de ces esprits qui se prêtent volontiers aux séances spirites. La plupart se pensent intéressants parce qu’ils sont désincarnés. Ces esprits sont comme les humains sans corps. Ils ne réalisent même pas qu’ils végètent entre deux courants. Ils vont vous parler de leurs haines et de leurs joies. Il n’y a rien de mal à cela, sauf le fait que les âmes libérées ne se prêtent pas aux séances spirites pour parler d’eux. Elles paraissent impersonnelles et surtout désintéressées par la curiosité naturelle des médiums. De plus, de tels esprits se manifestent rarement. Ce n’est pas qu’ils soient indifférents à notre sort, mais simplement intéressés à ne pas intervenir dans nos vies. Ils sont discrets et surtout occupés à vivre leur propre cheminement.

Jules Verne et le père Noël se retrouvèrent entourés par des esprits lourds qui voulaient les inciter à demeurer dans la région immédiate de la terre. Paichel les ignoraient mais le père Noël ne savait plus quoi répondre à un esprit malin. “Alors, si tu es le père Noël, pourquoi veux-tu nous quitter ? Que feras-tu loin de la terre ? Tu n’existe que pour les humains.” Paichel prit la main de son ami en disant à l’esprit collant : “Et toi, qui es-tu pour poser des questions ? Trouve donc ta réponse?” Cet esprit s’éloigna puisqu’il ne se souvenait même plus de sa vie terrestre. Il s’était mêlé à ces âmes qui se donnent le nom de “légion”.

Nos amis venaient de pénétrer dans la SPHÈRE DES CONFUSIONS. La confusion est cet état qui trouble l’âme au moment où elle se trouve dans son état naturel. C’est comme si un vieil homme originaire d’Italie y revenait après cinquante ans d’absence. Tout est comme avant, sauf lui. Il n’est plus le même et voit les choses différemment. Il est confus et désorienté. Il lui faudra un certain temps pour se retrouver dans ce monde situé au deuxième ciel. Le premier est dans le coeur de l’homme, le deuxième est après la mort physique. Il n’y a pas de limite, c’est-à-dire de distance calculable entre le premier et le deuxième ciel. Le troisième est souvent appelé le TRÉPAS. Ce mot doit être pris dans le sens “trois passages”, “trois degrés ou niveaux spirituels”. Pour une âme, c’est ce dernier passage qui est le plus important. C’est également dans le deuxième ciel que l’âme a besoin de sa FOI. Elle est troublée et doit donc chercher à sortir de sa confusion en PRIANT la lumière de la guider. C’est aussi pour cela que les hommes prient pour les morts. Ils obtiennent ainsi la clarté qui sortira cette âme de sa confusion. Juste avant le troisième ciel se trouve la nuit chaotique.

Paichel se retrouva dans cette nuit et dit alors à ses amis :

- Vous devez comprendre que cette nuit existe seulement depuis que l’homme s’est détourné de son Créateur. C’est comme si nous marchions depuis ce jour-là, dos à la lumière. On dit que le Christ est allé aux enfers pour libérer les âmes qui attendaient d’être sauvées. Maintenant que nous sommes dans la nuit, vous comprenez sans doute mieux ce que signifie ce salut. Il fallait un pont éclairé entre la NUIT ET LE JOUR. Imaginez-vous ce qui arriverait si je plaçais un mur entre le jour et la nuit? Lorsqu’il ferait jour, je ne le verrais pas à cause de ce mur ou de cet abîme qui m’en sépare. Il faudra donc percer ce mur pour que la lumière du jour le traverse et m’indique comment atteindre l’autre côté éclairé. Je dois préciser que si nous sommes dans le noir, c’est simplement à cause du mur qui voile le jour et non parce que nous vivons dans la nuit. Une éclipse en plein jour, voila l’image qui s’applique très bien à cette sorte de nuit créée par le mur.

- Que faisons-nous à présent ? Demanda le père Noël ?

- Je vais sortir le médaillon d’Absou. Un pont lumineux va apparaître devant nous et ce mur va forcément disparaître puisqu’il existe à cause de cette lumière que l’homme perdit en se détournant de son Créateur. Il a perdu son pont. Ce médaillon magique est ce FEU SACRÉ que l’homme laissa s’éteindre dans sa nature divine. C’est pour cela que plusieurs maîtres affirment que l’homme est divin et donc à l’image de Dieu. Ils ne parlaient pas de l’homme CHAIR mais de l’homme ORIGINEL. On lui donnait le nom d’ADAMUS. Cet homme voyait Dieu car il possédait en lui le FEU DIVIN.

Paichel plaça son médaillon au-dessus de sa tête et ferma les yeux. Rien ne se produisit à son grand étonnement.

- Que se passe-t-il Paichel ? Lui demanda Mlle Nostra.

-Mais je ne sais vraiment pas. Pourtant, Primus m’a affirmé que ce médaillon était magique. Je pense que Kana s’en servait sur terre...bien sûr, EN LE PLAÇANT FACE AU SOLEIL. Il n’y a pas de soleil dans la nuit, n’est-ce pas?

- Que faisons-nous Paichel?, demanda Jules Verne à son tour.

- L’image la plus lumineuse qui me vient à l’esprit lorsque je prie, c’est celle de mon ami Menamuel, FILS DE MOHEM. Pour être plus précis, je vais appeler à notre aide le NAZARÉEN, FILS DE L’HOMME.

- Le Christ?, demanda le père Noël d’une voix excitée.

- Oui, c’est l’un de mes bons amis ! Puis, j’ai déjà rencontré sa mère! Marie est la plus Belle Dame au monde.

Une voix amicale retentit dans la nuit.

- J’étais certain que c’était toi, mon brave Paichel. C’est toi qui songea à me laisser reposer un moment la tête sur ton épaule. Tu es plein de défauts et pourtant, je ne sais combien d’anges et de saints me parlent de toi en souriant. Ils te trouvent charmant mais surtout bruyant. Tu sais, Saint-Pierre hésite à te laisser traverser le ciel pour te rendre à ton îlot intemporel!

- Et pourquoi bon Dieu?

- Il craint que tu cherches à convertir le diable et faire damner les saints. Je pense que ta place est sur Arkara, du moins pour un certain temps.

- Moi, convertir le diable? Disons que c’est vrai que le ciel serait encore plus merveilleux s’il n’y avait plus de méchants diables ! On parlerait des “bons diables” et plus personne ne saurait à quoi sert le MAL. Si le diable devenait le saint démon, les humains feraient toujours le bien même en le faisant mal.

- Et le voila reparti dans philosophie amusante, dit une charmante voix.

- Pardonnez mes pauvres rêveries d’idiot, madame Marie
Ces idées me sortent comme des puces sur le dos
Car je me sens bête et indigne de votre compagnie
Toutefois, si un fou heureux comme moi possède des idéaux
Je vous les offre afin de vous en servir comme descente de lit.

Je ferais sans doute un bien pauvre saint Paichel
Bien qu’avec de la pratique, je saurais battre des ailes
Mais vous me voyez en ange, assis sur un coin du ciel
En me tortillant des orteils et jouant sur une lyre d’arc-en-ciel ?

- Mon fils, dit la Vierge en riant, Saint-Pierre a peut-être raison de craindre pour les saints du ciel. Paichel en ange ? Non, je n’ose y réfléchir ! Mon ami tu es attendu sur Arkara mais je vois trois autres âmes qui l’accompagnent.

- Je suis le père Noël, s’exclama un vieil homme à la barbe blanche.

- Et moi, je suis Jules Verne, dit un autre vieillard en retirant son chapeau melon.

- Moi, je suis une pauvre femme qui pense être Mlle Millefeuille Nostra.

- Bien, voila des belles âmes pour le ciel, dit le Sauveur. Toutefois, je veux bien les laisser accompagner mon ami Paichel si elles veulent le suivre.

Paichel serra les mains de ses amis en disant de joie : - Il ne faut pas refuser cette porte du ciel.

- Mais nous allons être séparés?, demanda Jules Verne.

- Non, pas vraiment, s’exclama Paichel en lui souriant. Nous sommes des esprits et nous pourrons toujours communiquer entre nous. Allons, suivez la Lumière sans crainte et soyez heureux.

C’est ainsi que les braves amis du clochard trouvèrent finalement la paix éternelle. Puis le Sauveur resplendissant de Clarté se plaça devant son ami en lui demandant de tendre son médaillon magique devant sa figure rayonnante comme un soleil. Paichel se retrouva dans un genre de paradis terrestre pour animaux.

- OÙ SUIS-JE ? ? ?, se demanda Paichel, complètement déboussolé ! Je devais logiquement me rendre sur mon îlot INTEMPOREL, avant d’aller chercher mon chien Boulette au paradis des chiens perdus. Suis-je dans ce paradis? Si c’est le cas, il doit se trouver dans l’AU-DELÀ? Et si ce paradis est effectivement dans l’au-delà, comment pourrais-je m’y prendre pour retourner dans l’intemporel ? J’y avais accès lorsque je possédais mon corps, mais je suis à présent un esprit qui vit dans l’au-delà!

Notre homme se sentait justement comme un chien errant dans un paradis, perdu dans un quelque part ! Il faut savoir qu’il existe une différence entre l’AU-DELÀ et le monde IMAGINAIRE. L’au-delà est celui des esprits et de l’univers, tandis que l’imaginaire est ce lieu où le temps et l’espace n’existent pas. Même s’il se trouve dans un univers intemporel, il n’en demeure pas moins éphémère. C’est comme un lieu IMAGINÉ PAR L’ESPRIT ET ENTRETENU PAR NOS RÊVES. On pourrait le comparer à une cinémathèque où des milliards d’idées se sont fixées sur une pellicule indéfinie. Donc, logiquement, le monde IMAGINAIRE est partout et nulle part. C’est ici que nous expliquerons comment Paichel traversait d’une époque à l’autre. Il disait voyager dans un couloir lumineux. On pourrait en dire autant d’une image qui passe devant la lumière d’un projecteur. Si nous placions l’histoire de l’humanité sur une seule pellicule et la rangions ensuite dans un coffre noir, nous aurions une assez bonne idée de ce qui se passe dans l’intemporel. Le temps est justement ces milliers d’images qui se suivent sur la pellicule, tandis que l’intemporel est cette bobine de film qui existe à cause des images temporelles. Tout à coup, un étrange phénomène lumineux permet à quelqu’un d’entrer dans la boîte noire et de regarder ces images immobiles du film. Le même phénomène lumineux entraîne ensuite l’étranger à visionner rapidement une série d’images. Tout comme un cinéphile, il aura l’impression de voir bouger des gens et des choses réelles. Imaginons-nous, à présent, être justement ce voyageur, assis sur l’une des images de ce film temporel. Pour lui, rien ne bouge parce qu’il vit au même rythme que l’image. Pourtant, celle-ci doit suivre le déroulement du film sans bouger de son époque. Nous avançons comme cette image jointe à celle du futur et du passé. Il suffirait de tomber en dehors de notre image pour voir le temps s’écouler autrement.

Cette chute conduit justement dans l’intemporel. Une fois devenu observateur, le tems n’existe plus comme tel. On voit des événements qui n’ont rien à voir avec une époque, mais plutôt avec un film déjà réalisé. Il n’y a plus de scènes précises, mais des apparitions de clichés. Prenez par exemple dix photographies, prises à dix époques différentes et placez-les sur un carrousel. Même si un temps ou espace semble diviser ces photos, on sait parfaitement que ces images datent d’autres époques. Ainsi, l’intemporel permet à toutes les époques d’exister sur la même bobine de film. C’est la lumière qui décide de montrer telle ou telle image et non le temps. Nous voulons dire par cela que le maître de l’intemporel est une LUMIÈRE ÉTERNELLE, capable de montrer dans un seul plan, l’histoire complète du monde. L’observateur est toutefois convaincu de voir une seule image à la fois. En réalité, c’est simplement son ATTENTION qui se fixe sur une scène vivante plutôt que sur l’ensemble des projections.

L’intemporel est un monde qui se trouve non seulement en dehors du temps, mais au-delà de la réalité. Cela semble absurde de parler de quelque chose qui dépasse la “réalité” et pourtant, la vie part vraisemblablement du point initial 0. Pouvons-nous expliquer comment de “rien” peut naître “tout”. Donc, mathématiquement, le chiffre 1 fait suite à 0 ! C’est impossible de décrire l’intemporel autrement que par des images et comparaisons. Disons que nous possédons une grosse marmite vide et qu’elle se remplit d’eau. Nous ignorons comment celle-ci s’est remplie d’eau mais nous apprenons qu’il y a de l’eau. Puis, le feu fait bouillir cette eau. Encore là, nous ignorons d’où vient le feu mais nous savons qu’il fait bouillir l’eau. Vient ensuite la création des bulles et de la fumée. Le problème est que nous parlons des bulles, de la fumée, de l’eau et du feu, sans parler du chaudron originel. Il s’avère difficile de parler des choses qui existent du fait que nous voyons un DÉBUT et une FIN de la vie. Si nous reprenons l’image du chaudron sur un feu, nous pouvons également nous imaginer que l’eau bouillante va finir par s’évaporer sous forme de fumée n’est-ce pas ? Pourtant, ce nuage constitue un RÉSULTAT et non l’origine de l’eau.

Il va même retourner à l’état liquide dès qu’il retombera en dehors de la marmite. Ce DEHORS est l’intemporel. Il est constitué des mille et une gouttes d’eau du chaudron. Donc, son existence n’est pas originelle même si nous y retrouvons l’eau originelle de la création. C’est comme si on poussait un gros nuage au-dessus d’un désert. Si plusieurs nuages crèvent et arrosent ce sol aride, c’est évident que le désert finira par se transformer en une terre fertile et même en océan si cette pluie devient perpétuelle. Toutefois, l’important est de savoir que ce lieu redeviendra désertique dès qu’il cessera de pleuvoir. Nous voulons indiquer par cet exemple que l’intemporel se nourrit uniquement des pluies que nous lui donnons car de lui-même, il n’existe pas. Le chaudron est la vie, l’eau est la réalité et nos rêves sont cette pluie qui anime un monde IRRÉEL. La lumière éternelle qui éclaire les rêves et tous les ACTES POSÉS DANS LE TEMPS est justement la PENSÉE de l’observateur. En deux mots, l’intemporel est le monde de la pensée abstraite, c’est-à-dire, d’où naîtra la réalité. C’est le rêve qui existe avant l’ACTION car rien ne pourrait se réaliser (qui vient du mot réel) sans d’abord avoir été pensé. La VIE est la PENSÉE qui se MANIFESTE dans le monde VISIBLE ET INVISIBLE. C’est pour cela que la vie est UN RÊVE PERPÉTUEL DE LA PENSÉE CRÉATRICE.

Pensée+chaudron+rêve+action+réalité+réalisation
=
Vie visible+invisible

Notre ami Paichel se trouvait au paradis des chiens perdus, c’est-à-dire dans un lieu sans MAÎTRE. Cet endroit était habité par des chiens qui attendaient justement la venue de leurs maîtres pour pouvoir quitter ce monde situé dans l’intemporel. Bien oui, Paichel se croyait dans l’AU-DELÀ mais son ami Menamuel, fils de Mohem, savait fort bien qu’il ne retrouverait jamais son chien du moyen âge dans le monde réel. On sait que Boulette était le premier compagnon de route de Paichel. Il venait du pays des fées et donc de l’INTEMPOREL. La bête le savait si bien qu’elle INSISTA pour que son maître vienne la chercher au paradis des chiens perdus lorsqu’il arriverait à la fin de ses jours. Le clochard voulait tenir sa promesse et c’est pour cela que son médaillon le guida vers ce paradis pour animaux.

La pauvre âme s’attendait à retrouver tous ses chiens dans ce paradis parce qu’il ignorait encore que Boulette était différent des autres animaux qu’il posséda au cours de ses aventures. BOULETTE l’accompagna au moyen âge, CIBOULETTE le suivit dans sa mission à l’époque de l’Homme de Néandertal, GALETTE fut son compagnon de route à l’époque des Atlantes, PITA était son chien aux temps de Jésus, SAUCISSE, PUDDING, POP-CORN et FRIC furent ses amis dans ses dernières aventures. On doit également citer RAISIN-GRAPPE que Paichel rencontra lorsqu’il se trouva au pays des fées. Toutefois, tout comme Boulette, ce chien venait de l’intemporel. C’est la raison pour laquelle notre homme en viendrait bientôt à se demander le véritable sens du PARADIS DES CHIENS PERDUS. En effet, logiquement, ce lieu devrait y accueillir tous les chiens de la terre après leur mort. Alors, pourquoi lui donnait-on ce nom si évocateur ? En réalité, Paichel se trouvait quelque part au PAYS DES FÉES.

Le paradis des chiens perdus comptait des milliers d’animaux inventés par l’esprit humain. Tous les enfants connaissent les personnages des contes de Perrot, de Grimm, ou encore des fables de Lafontaine. Leurs fébriles imaginations entretiennent des chiens, des chats, des petits cochons, des méchants loups ou des bêtes fantastiques qui apparaissent alors dans le monde intemporel. Puis, un jour, on les oublie et toute cette vie animée se retrouve au paradis des chiens sans maîtres. Hé oui! C’est ainsi que des animaux célèbres terminent leurs aventures dans un coin oublié du pays des fées. Pour renaître, ils doivent se trouver un MAÎTRE, c’est-à-dire quelqu’un qui veut bien les sortir de l’incognito. Paichel rencontra Boulette au moyen âge. On sait que ce chien venait du monde fantastique et qu’il retourna simplement dans celui-ci après son aventure. La seule différence entre Boulette et les autres chiens imaginaires, c’est que Paichel ne l’a jamais oublié. Il venait le chercher dans ce paradis très beau et pourtant si triste à voir à cause de cette foule de bêtes, assises en rang d’oignons en face d’un immense écran en forme de livre à images. Elles attendaient sagement d’être évoquées par les humains en faisant toutes sortes de mouvements des pattes pour attirer l’attention des rêveurs.

Paichel se promena un certain temps dans ce monde aussi beau que puisse l’être un pays merveilleux mais où il y avait de moins en moins de maisons d’épice. C’est que, voyez-vous, les bêtes les dévoraient peu à peu en attendant d’être adoptées par des maîtres rêveurs ou des maîtres enfants. Les animaux devenaient parfois féroces, exactement comme des délinquants rejetés par la société. Ils détruisaient donc le monde enchanté pour attirer l’attention des créateurs et des rêveurs de tous âges. Voyez-vous, lorsqu’on est né pour aimer et que personne ne vous aime, il faut nécessairement que cet amour se manifeste dans les colères et les frustrations. Paichel vit un fort joli lapin de PÂQUES, endormi dans un panier d’osier. Il attendait qu’on vienne le chercher. Cette bête était toutefois très privilégiée par rapport aux autres animaux puisque les enfants songeaient à elle au moins une fois par année. Qu’on songe simplement au chat WELLY, par exemple. Vous le connaissez? Non, vous ne le connaissez pas puisqu’il n’a jamais été populaire. Il en va de même de plusieurs animaux inventés par les hommes et qui terminent leur vie dans ce paradis des chiens perdus. Le cas de Welly est dramatique puisqu’il fut pensé par un seul humain. Il va sans dire qu’il a peu de chance de se trouver un maître. En tout cas, si quelqu’un veut l’adopter, il lui suffit simplement de “penser à “Welly le chat de goût”. La petite bête aux poils cotonneux se fera un plaisir de jouer le rôle que vous voudrez bien lui offrir. Welly mesure... oui, comme un chat ordinaire et mange tout ce qui peut se mastiquer et s’avaler. Le reste, c’est le rêveur qui fera en sorte de le vêtir des qualités et défauts qu’il désire.

Nous avons assez décrit ce paradis et nous revenons à présent à Boulette. Il était endormi près d’une jolie rivière et tenait un morceau de ficelle à sa patte droite. L’animal voulait tant se souvenir de son ancien maître, qu’il s’était enroulé cette patte avec un cordon. Paichel pleura d’émotion en réalisant qu’il s’agissait d’un vieux ceinturon lui ayant appartenu au moyen âge.

- Boulette, mon ami, mon compagnon, c’est moi, Paichel.

- Paichel ? Jappa le chien en se dressant rapidement sur ses pattes. Tu viens vraiment me chercher? Tu as tenu ta promesse ?

- Calme-toi voyons, on dirait que tu as la danse de St-Guy !

- Saint-Qui ? Oui, je suis excité comme un saint qui..encore?

Le chien sauta dans les bras de l’homme et le lécha au moins dans les moindres plis du visage. Comme son maître était devenu très ridé, Boulette passa une bonne éternité à ce travail. Puis, chose étrange, la bête ne lui fit aucune remarque sur son aspect physique. Pour un animal, cela n’a aucune importance. Il était si heureux qu’il tremblait dans les bras de celui qui le serrait contre sa poitrine en pleurant.

Que pourrions-nous dire de plus au sujet de ces retrouvailles, sinon que le maître et son chien venaient de se retrouver “sains et morts”. En effet, Paichel était devenu saint à cause de son ami Menamuel, fils de Mohem qui l’aimait bien, ainsi que la Vierge Marie, Saint-Pierre, Angélo, le petit ange et tous ces êtres qui apprirent à l’aimer au cours de ses aventures. Paichel était dissipé mais personne ne pouvait dire qu’il était méchant ou détestable. Il pouvait s’établir partout et se sentir bien avec les sages, les fous, les souffrants, les intelligents, les sots, les beaux, les laids, les monstres et les dieux. Il se proposait même d’aller visiter un petit diable du nom de “Tison” un jour ou l’autre. Paichel avait entendu parler de l’enfer comme tout le monde, mais curieux comme il était, on pouvait s’attendre à le voir mettre son gros nez dans ce paradis des CHIENS CHAUDS. Il était persuadé que les démons étaient en “maudits” contre les vertus des saints mais comme toute chose, ils finiraient par se lasser de tenter les hommes. Paichel était assez insensé pour tenter de convertir Lucifer et sa bande de damnés et de mettre un terme à cette querelle d’anges élus et déchus !

Pour lui, il n’y avait qu’un bon Dieu et une création assez mélangée comme un sac à surprise. Nous ne saurons sans doute jamais si Paichel réussit à convertir le diable. Quoi qu’il en soit, notre homme ne se tiendrait jamais en équilibre sur un nuage. C’était le genre à se mettre les deux pieds dans les mêmes bottines et à penser comme il marche. Au fait, pour ceux qui s’interrogent à savoir si ce clochard apprit finalement à lire et à écrire, nous dirons simplement que : Lorsque Paichel saura lire et écrire, les poules auront des dentiers et les cochons porteront des bavettes pour manger. Puis, de toute manière, à quoi aurait servi un érudit de plus ? Notre homme était un enfant éternel pour qui la fascination des lettres et des chiffres lui servirent comme des blocs à jouer. Un jour, quelqu’un tenta de lui expliquer la valer des chiffres en se servant d’une tarte qu’il coupa en quatre. Il demanda ensuite au clochard de compter les morceaux. Alors, naïvement, son ami lui répondit : “Il y a deux morceaux, deux pour toi et deux pour moi.

Donc, la tarte est divisée en deux!” Un autre jour, notre homme discuta de politique avec un ancien militaire. Ils parlèrent de paix et de guerres. Le général prétendait qu’on se battait pour défendre la paix et Paichel insistait pour dire que la paix n’était qu’un prétexte pour faire la guerre. Étonné par le raisonnement stupide de son interlocuteur, le militaire tenta de lui faire comprendre que l’ennemi veut enlever la paix à une autre nation et qu’il faut alors se battre pour préserver cette paix. Le pauvre Paichel lui dit: “C’est incroyable ! Pourquoi voudrait-on voler la paix à quelqu’un si on n’en veut pas? Car c’est bien de cela que vous parlez ? Un ennemi qui n’a pas la paix veut empêcher une autre nation de vivre en paix. S’il gagne la guerre, il faudra bien qu’il vive en paix lui aussi ? Alors, à quoi lui sert-il de faire la guerre ? Puis, si la paix n’est pas universelle, personne ne peut prétendre qu’il possède la paix. S’il vole la paix des autres, c’est normal que les autres veulent se battre pour reprendre leur paix.” On ne sait pourquoi, mais le militaire ne parla jamais plus à cet idiot de Paichel.

À présent que le clochard venait de récupérer son compagnon du moyen âge, il pouvait partir en paix. Toutefois, Boulette ignorait comment sortir du paradis perdu. Il le connaissait assez bien pour savoir que personne ne pouvait le quitter à moins de passer par la PAGE BLANCHE. Le chien voulait parler de cet écran, devant lequel tant d’animaux attendaient d’être appelés par des maîtres. Puisque Paichel se trouvait dans ce paradis, il ne pouvait logiquement en sortir, à moins que quelqu’un PENSE À LUI.

- Sacré-nom-d’un-chien, cria le vieil homme d’une voix fatiguée, est-ce que je vais partir un jour de ce fichu monde et pouvoir me reposer en paix ou encore en “épais” ? Si je me trouvais dans l’intemporel, je saurais peut-être me débrouiller, mais ici, dans l’AU-DELÀ, je me sens vraiment dépourvu de toutes mes idées géniales.

- Tu devrais avoir encore des idées géniales puisque nous sommes dans l’intemporel et non dans l’au-delà, lui répondit bravement le chien.

- Tu veux rire ? Non, nous sommes dans l’au-delà puisque je viens de quitter mes amis qui sont morts avec moi.

- Mais voyons mon maître, je sais que nous sommes au pays des fées. Je le sais puisque ...

- Puisque quoi mon bon ami ?

- Disons que je suis originaire du pays des fées et non de la Terre.

- C’est impossible, tu serais un chien enchanté ?

- Pour tout dire, c’est la fée Marianne qui m’a demandé de l’accompagner sur terre.

- Marianne ? Je n’y comprends rien.

- Écoute, si nous étions dans l’au-delà, tu devrais normalement y retrouver tes autres compagnons du moyen âge comme les rats, le taureau Brutus, le cheval Arthur et enfin, ceux qui vécurent à notre époque ?

- Oui, tu as raison. J’avoue que leurs “ souvenirs “ vivent sur mon îlot, mais pas eux. Mais peux-tu me dire pourquoi tu ne m’as jamais mentionné être un chien du pays enchanté ?

- C’est à cause de ta mère.

-De ma mère?, demanda Paichel d’un air troublé.

- Oui, Marianne était ta mère.

- Ah non ! Je regrette de te dire que je suis l’amant de Marianne et non son fils. J’ai fait l’amour avec elle lorsque j’étais en mission dans la forêt de Voirpou.

- Tu as raison mon maître. Pourtant, Marianne accoucha de toi au moyen âge. Tu es ton propre père.

- C’est amusant ce que tu dis mon cher Boulette mais je suis trop vieux pour croire à des balivernes.

- On n’est jamais trop vieux pour apprendre la vérité, lui dit une douce voix.

Une fort jolie fée apparut devant lui. C’était la fée Marianne.

- Boulette a parfaitement raison, lui dit-elle en lui prenant la main. Je suis vraiment ta mère sur terre et ton amante au pays des fées. Maintenant, si tu me désires comme épouse, conduis-moi sur ton îlot et j’y attendrai le jour de nos noces. Le pays des fées est gouverné par une reine malveillante et orgueilleuse. Tous les magiciens de Pyr et toutes les fées d’Aqua souhaitent vivement un nouveau roi et une nouvelle reine. Ils te désignent tous comme le meilleur magicien du pays.

- Oui, mais que dira Bertal si je t’épouse, belle fée d’amour?

- Bertal demeure prisonnier de la pierre dans laquelle mes cousines l’ont enfermé. Je sais que tu auras une grande mission à accomplir sur Terre avec l’enfant de la lumière. Je sais également que le Maître du destin voudrait que tu prennes la charge d’un musée sur Arkara. J’ai l’éternité pour attendre ton retour à Féerie. J’y suis revenue après le départ de Bertal. Sa mère ne peut rien faire contre moi depuis que l’enfant Manuel lui a fait perdre la raison. La reine vit dans son palais où son seul visiteur est l’ombre de son fils.

C’est ainsi que Marianne, Paichel et Boulette disparurent comme par enchantement lorsque la fée agita sa baguette magique devant eux.

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